Fil d'Ariane

La Ville Nouvelle et Vyšehrad – Prague, métropole européenne

Le décret fondateur de la Ville Nouvelle est émis le 8 mars 1347, et la première pierre des fortifications de la Ville Nouvelle est posée quelques semaines plus tard, en présence du souverain et de nombreux hôtes de l’Empire. Les remparts gothiques, qui s’étendent sur 5,5 km et sont agrémentés de vingt-quatre tours de guet et quatre portes d’entrée, sont achevés en deux ans seulement. La fondation de la Ville Nouvelle de Prague constitue l’un des projets d’urbanisme les ambitieux du Moyen-Âge, et renoue, cent ans avant la Renaissance italienne, avec les principes architecturaux de l’Antiquité. Par son étendue, la qualité de sa gestion économique et politique et le nombre de monuments religieux qu’elle abrite, Prague devient alors la troisième ville la plus importante d’Europe.

  • L’église Notre-Dame et des Saints-Patrons-slaves   | Photo: Prague City Tourism
  • L’église Saint-Apollinaire | Photo: Prague City Tourism
  • L’église Notre-Dame des Neiges | Photo: Prague City Tourism
  • Photo: Prague City Tourism
  • L’église Saint-Étienne | Photo: Prague City Tourism
  • L’Hôtel de ville de la Ville Nouvelle | Photo: Prague City Tourism
  • L’église Notre-Dame de l’Assomption et Saint-Charlemagne | Photo: Prague City Tourism

La Jérusalem céleste

S’il était important pour Charles IV d’étendre sa résidence, il était plus important encore pour lui de créer une nouvelle Jérusalem, lieu que la mystique médiévale concevait comme la ville céleste, idéale, où iraient les justes lors du Jugement dernier. La disposition calculée des places et des édifices religieux, leur aspect toujours unique venaient confirmer cette intention. Les cinq églises de la Ville Nouvelle sont réparties à intervalles réguliers, de manière à former, vues d’en haut, une croix bénissant la ville. Les saints auxquels sont consacrés chacun des lieux de culte relient Prague aux villes clés de l’Empire et témoignent de la volonté de Charles de faire de Prague la capitale du Saint-Empire romain germanique et le centre du pouvoir temporel de toute la chrétienté. Cette auréole sainte qui nimbe la Ville Nouvelle est encore renforcée en 1350, lorsque les joyaux de la couronne impériale sont transférés à Prague. Accompagnés de reliques rares, ils seront ensuite régulièrement exhibés à la foule des croyants, le premier dimanche qui suit le Vendredi saint, sur le marché aux bestiaux de la Ville Nouvelle, l’actuelle place Charles.

L’église Notre-Dame des Neiges

La construction du couvent des Carmes et son église Notre-Dame des Neiges est le signal de la volonté d’édifier une Ville Nouvelle. Le couvent est fondé par Charles IV et sa femme Blanche de Valois le lendemain même de leur couronnement solennel sur le trône de Bohême, le 3 septembre 1347. Sur le projet de départ, qui visait la construction d’une église monumentale d’une longueur de 100 mètres, seuls le choeur, qui dépasse de près de 40 mètres les bâtiments voisins de la Ville Nouvelle, est achevé en 1397. L’église Notre-Dame des Neiges était censée devenir l’édifice le plus imposant des différents villages de la rive droite de Prague, que Charles s’efforçait d’unifier. Le saint auquel l’église est consacrée, qui renvoie à la basilique Santa Maria Maggiore de Rome, établit un lien spirituel entre Prague et la ville éternelle. Par la suite, les Guerres hussites vinrent interrompre le processus de construction. Bien qu’ils soient finalement revenus au couvent, les Carmes ne purent protéger l’église, très délabrée à leur retour. Son aspect actuel date du début du XVIIe siècle, date à laquelle Rodolphe II décide de céder le couvent à l’ordre des Franciscains, qui rénovent l’église et lui redonnent son importance.

L’église Notre-Dame et des Saints-Patrons-slaves  

Le couvent de Bénédictins et son église dédiée à la Vierge Marie et aux saints Jérôme, Cyrille, Méthode, Adalbert et Procope occupaient une position très particulière dans la Prague de Charles IV. Fondé en novembre 1347, le couvent est alors le seul où les liturgies sont chantées en slavon d’église dans toute la chrétienté occidentale. L’office est servi par des moines originaires de Croatie que Charles IV a fait venir de leur abbaye bénédictine, située sur l’île de Pašman, près de Zadar. Ces moines représentent pour Charles un pont symbolique entre la chrétienté d’Orient et celle d’Occident, qu’il s’efforcera de réunir à plusieurs reprises.

La magnifique église du couvent fut solennellement consacrée en présence de l’empereur lors du lundi de Pâques de 1372. C’est en référence à un passage des Évangiles que le couvent fut surnommé « cloître d’Emmaüs ». Il devait rapidement devenir un grand centre spirituel pour la liturgie slavonne, et survécut sans dommage aux Guerres hussites.

L’histoire du couvent, cependant, fut mouvementée, qu’il s’agisse de décorations dans le style de l’école de Beuron ou des événements de la Seconde Guerre mondiale, durant laquelle il fut gravement endommagé par des bombardements aériens alliés. L’église doit sont aspect actuel à une vaste rénovation après la guerre. La fresque gothique qui décore le cloître du couvent, le « cycle d’Emmaüs », nous ramène aux temps de Charles IV. Il s’agit d’un ouvrage unique en Europe.

L’église Notre-Dame de l’Assomption et Saint-Charlemagne

Le couvent des chanoines augustins et son église Notre-Dame et Saint-Charlemagne fut fondé par Charles IV en 1350. L’édifice central, de style gothique, se dresse au point le plus élevé de la Ville Nouvelle, une éminence qui fait face à la colline de Vyšehrad et qui a pris le nom de Karlov, le Mons Caroli sancti, en hommage à Charles. L’église est consacrée à l’empereur Charlemagne, qui fut un modèle pour Charles IV et dont il revendiquait la parenté. Grâce à cette église exceptionnelle, Prague se trouve liée à la ville d’Aix-la- Chapelle, dans laquelle étaient couronnés les rois de Romains. Notre-Dame de l’Assomption a d’ailleurs été bâtie sur le modèle de l’église dans laquelle Charles avait lui-même été couronné, en 1349. Il fallut attendre 27 ans pour que l’église soit achevée dans sa plus grande partie et consacrée. Aujourd’hui, bien qu’on ne voie plus qu’une partie du bâtiment originel, il s’agit toujours d’un des édifices les plus marquants du règne de Charles.

L’église Sainte-Catherine

Le couvent des Augustins et son église Sainte-Catherine font également partie des lieux de culte édifiés dans la Nouvelle Jérusalem. L’église fut fondée par Charles IV en 1355, et la sainte à laquelle elle est dédiée n’a pas été choisie au hasard : Charles attribuait en effet à sainte Catherine d‘Alexandrie sa victoire en Italie du Nord le 25 novembre 1332, lors de la bataille de San Felice. Du bâtiment gothique d’origine, il ne reste aujourd’hui qu’un haut clocher. Le reste, globalement de style baroque, est l’oeuvre de l’architecte Kilian Ignace Dientzenhofer.

L’église Saint-Apollinaire

L’église Saint-Apollinaire, qui s’élève sur la colline de Větrov, fait elle aussi partie des cinq églises principales de la Ville Nouvelle. Elle fut fondée par Charles IV en 1362. Le saint auquel l’église est consacrée renvoie à la ville italienne de Ravenne, dont Apollinaire fut, selon la légende, le premier évêque. L’église praguoise établit un lien spirituel entre Prague et Ravenne, ville qui fut aussi la dernière résidence des empereurs romains au Ve siècle et dont la basilique Saint Apollinaire in Classe a inspiré l’édifice praguois.                                                               

L’église Notre-Dame de la Visitation Na trávníčku 

Le monastère de l’ordre mendiant des Servites de Marie et son église Notre-Dame de la Visitation furent fondés par Charles IV. La légende raconte que l’empereur tenait ainsi une promesse faite devant un tableau de la Vierge Marie conservé dans un monastère de Servites, à Florence, pour la remercier de sa guérison. Cette église est remarquable par sa disposition en forme de croix et son clocher, dont l’inclinaison en fait le plus penché de Prague. Bien que l’église ait été partiellement rénovée dans le style néo-gothique au XIXe siècle, elle constitue toujours l’un des meilleurs témoignages des vues de Charles en matière d’architecture et de spiritualité.

La fondation de la Ville Nouvelle de Prague  ne s’est pas limitée aux monuments emblématiques évoqués jusqu’ici : les lieux de culte plus anciens, déjà présents dans la zone concernée, furent respectés et intégrés à l’ensemble. Deux églises paroissiales furent également édifiées, séparant le territoire particulièrement étendu de la Ville Nouvelle en deux parties.

L’église Saint-Étienne 

Cette église paroissiale située dans la partie supérieure de la Ville Nouvelle date de la seconde moitié du XIVe siècle, et appartient à l’ordre des Croisés à l’étoile rouge. Il est intéressant de noter qu’il s’agit du seul ordre de chevalerie fondé en Pays tchèques, et, qui plus est, d’un ordre masculin fondé par une femme, sainte Agnès de Bohême. Un cimetière s’étendait autrefois sur le terrain bordant l’église, le plus grand de la Ville Nouvelle.

L’église Saint-Henri et Sainte-Cunégonde 

Consacrée en 1351 par l’archevêque de Prague Arnošt z Pardubic, cette église paroissiale était également la possession des Croisés à l’étoile rouge, dont Charles avait reçu la majorité des terrains sur lesquels il fonda sa Ville Nouvelle. Elle est consacrée au couple impérial Henri II et sa femme Cunégonde, ce qui, là encore, a une signification : il ne s’agit pas seulement d’une tradition propre aux souverains de l’Empire, mais aussi de souligner le rôle de la seule sainte issue de la dynastie des Luxembourg.

Les divers marchés de la Ville Nouvelle jouèrent eux aussi un rôle prépondérant. Le marché aux chevaux (actuelle place Venceslas), le marché au foin (actuelle place Senovážné) et le marché aux bestiaux (actuelle place Charles) sont impressionnants de par leurs dimensions exceptionnelles, qui atteignent 8 hectares dans le cas du marché aux bestiaux.

L’Hôtel de ville de la Ville Nouvelle

L’époque à laquelle cet hôtel de ville flanqué d’une puissante tour d’angle fut édifié confirme bien que Charles IV dut soutenir le projet afin d’en faire le siège de l’administration autonome de la Ville Nouvelle. L’architecture gothique de la salle principale, avec ses voûtes et ses colonnes ainsi que ses vestiges de fresques gothiques, en est également le témoin. Les intérieurs du bâtiment comptent parmi les plus beaux de la cité médiévale.

Vyšehrad 

L’ancien palais royal de Vyšehrad est un lieu de légendes et lié aux premiers souverains de la dynastie des Přemyslides. Il joua un grand rôle dans les conceptions de Charles IV. Vyšehrad symbolisait en effet l’héritage des Přemyslides dont les Luxembourg, sur le trône de Bohême, se réclamaient. C’est ici que mourut la mère bien-aimée de Charles, la reine Élisabeth de Bohême, en 1330. Le nouveau protocole de couronnement stipulait que, la veille de leur couronnement, les rois de Bohême devaient venir prier à Vyšehrad. L’acropole de Vyšehrad fut reliée dans les années 1350 à la Ville Nouvelle par des remparts, et la basilique Saints-Pierre-et-Paul fut rénovée.